Querelle
du Grand Architecte de L'Univers
Dieu, Grand Architecte de l'Univers,
dans une enluminure médiévale (c.1250).
En franc-maçonnerie, et plus particulièrement
dans la franc-maçonnerie francophone, la Querelle du Grand Architecte de
l'Univers marqua un tournant de l'évolution des pratiques maçonniques. Elle fut
à l'origine de l'un des principaux schismes maçonniques de l'histoire et reste,
aujourd'hui encore, au centre des débats qui tentent de caractériser la
franc-maçonnerie
Elle fut
également pendant tout le XXe siècle, avec les questions de mixité, de
l'engagement politique et de la ségrégation raciale, l'un des principaux
constituants des Dieu, Grand Architecte de l'Univers, dans une enluminure
médiévale (c.1250). dite « libérale ».
La croyance en
Dieu aux débuts de la franc-maçonnerie
Au XVIIe siècle
et au début du XVIIIe siècle, les premiers francs-maçons étaient tous soit
catholiques, soit protestants. Les plus anciens manuscrits maçonniques connus,
même dans les loges d'inspiration calviniste, n'utilisent cependant jamais
l'expression « Grand Architecte de
l'Univers ». C'est le cas par exemple du manuscrit Dumfries (c. 1710), bien
qu'il fasse référence à de nombreuses reprises à « notre Seigneur Jésus-Christ
» et mentionne que l'apprenti franc-maçon « doit être fidèle à Dieu et à la
sainte Église catholique1 » (« he must be true to god and the holy
catholick church »)2.
C'est semble-t-il
en 1723 dans les Constitutions of the free-masons qu'on trouve pour la première
fois ces termes dans le contexte maçonnique. Leur auteur, le pasteur James Anderson
les ayant probablement trouvés dans l'œuvre de Jean Calvin On retrouve
également dans la divulgation Three distinct Knocks, publiée à Dublin et à
Londres en avril 1760, une expression proche des termes « Grand Architecte de
l'Univers » : il s'agit d'une prière à « notre Seigneur Jésus-Christ » qui
commence par ces termes :
« Ô Seigneur Dieu, Grand et Universel
Maçon du Monde, et premier constructeur de l'Homme comme s'il était un
temple » Dans la seconde moitié du
XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe siècle, la franc-maçonnerie
s'ouvre à d'autres religions révélées et même, dans certains pays, à d'autres
conceptions, en particulier déistes. L'expression « Grand Architecte de
l'Univers » fut alors de plus en plus fréquemment utilisée, souvent en
remplacement du mot « Dieu », car étant plus générale, elle convenait aussi
bien aux déistes qu'aux théistes des différentes religions.
La situation
particulière de la franc-maçonnerie Française dans les années 1860 et 1870
A partir de 1860,
le Second Empire se libéralise. Napoléon III a perdu une grande partie du
soutien des catholiques car il aide le roi de Piémont Sardaigne, Victor
Emmanuel II à réaliser l'unité italienne, ce qui va à l'encontre des intérêts
de la papauté. Dans ce contexte plus libéral, la franc-maçonnerie française se
développe, bien qu'elle soit divisée en deux obédiences (le Grand Orient de
France et le Rite écossais) traversées par trois courants informels
(conservateurs souhaitant rassembler des membres de toutes les religions
établies, déistes rousseauistes et républicains positivistes). A l'initiative
des courants réformateurs, de nombreuses loges appuient l'idée d'un
enseignement laïque, gratuit et obligatoire, ce qui, joint à la présence de
nombreux francs-maçons dont Garibaldi parmi les partisans de l'unité italienne,
aggrave les tensions avec l'Église catholique
romaine. L'année 1870 voit la chute du Second Empire, l'instauration en France
de la Troisième République avec un gouvernement provisoire dont sept des douze
membres sont francs-maçons, et l'annexion de Rome au Royaume d'Italie. Les
condamnations catholiques contre la franc-maçonnerie se renforcent et, du côté
de la franc-maçonnerie, les républicains devenus très majoritaires se radicalise dans leur anticléricalisme.
Les décisions du
Grand Orient de Belgique en 1872
Dans les années
1830, l'épiscopat catholique s'investit fortement dans la vie politique. En
1837, les autorités catholiques de Belgique font rappeler dans toutes les
églises du pays l'interdiction papale de l'adhésion à la franc-maçonnerie,
restée largement ignorée jusque là. Cette nouvelle condamnation a pour effet de
diminuer considérablement le nombre de catholiques et de conservateurs dans les
loges et à l'inverse d'y augmenter l'arrivée des anticléricaux puis des membres
du parti libéral. Dans ce contexte d'opposions virulente entre le parti
catholique et le parti libéral, le rationalisme et le déisme gagnent alors du
terrain au sein de la franc-maçonnerie belge, aboutissant en 1872 à la
suppression de l'invocation du Grand Architecte de l'Univers de tous les
rituels et documents du Grand Orient de Belgique.
Le Convent de
Lausanne en 1875
Le 6 septembre
18756 s'ouvrit à Lausanne un « Convent universel » réunissant les représentants
de onze « Suprêmes Conseils »8 du Rite écossais ancien et accepté. Parmi les
travaux à l'ordre du jour figurait la rédaction d'une « déclaration de
principes » qui fut par la suite à l'origine de nombreuses controverses.
Celle-ci commençait par ces mots: « La
Franc-maçonnerie proclame, comme elle a toujours proclamé, l'existence d'un
Principe Créateur, sous le nom de Grand Architecte de l'Univers. »Cette formulation conservait la formule
traditionnelle « Grand Architecte de l'Univers » sans plus la rattacher
obligatoirement à une foi en un Dieu personnel et transcendant. Elle ouvrait
ainsi très clairement les portes de la franc-maçonnerie aux déistes, ce qui
correspondait aux évolutions survenues dans les franc-maçonneries belge,
française et italienne. Bien que les documents du Convent de Lausanne aient été
paraphés par les délégués de six Suprêmes Conseils (qui en représentaient neuf
suite à trois délégations de pouvoirs), ces accords furent rompus dans les mois
qui suivirent, en partie pour des motifs relatifs à des conflits territoriaux
entre les signataires, mais en grande partie aussi parce que les
Écossais, les Anglais et les Américains refusaient catégoriquement une
telle évolution.
Les décisions du
Grand Orient de France en 1877
Bien que fondé en
1773, le Grand Orient de France ne compléta ses règlements généraux par une
constitution qu'en 1849. Celle-ci commençait par la phrase suivante: « La
FRANC-MAÇONNERIE, institution essentiellement philanthropique,
philosophique et progressive, a pour base l'existence de Dieu et l'immortalité
de l'âme. » Une définition aussi positive et presque juridique, ne faisant pas
référence aux « anciens usages. Dès 1867, un débat eut lieu au Grand Orient de
France au sujet de la référence à l'existence de Dieu. Le statu quo fut cependant
maintenu. En juillet 1875, Émile Littré et Jules Ferry furent initiés
dans la loge La Clémente Amitié. Ce fut un événement maçonnique et mondain
considérable, témoignant de l'engagement de la franc-maçonnerie française aux
côtés de la Troisième République. C'est dans ce contexte que le pasteur et
député républicain Frédéric Desmons présenta en septembre 1877 au Convent du
Grand Orient un rapport11 dont la discussion déboucha sur un vote modifiant à
une très large majorité l'article premier de sa constitution12 de la manière
suivante: « La FRANC-MAÇONNERIE, institution essentiellement
philanthropique, philosophique et progressive, a pour objet la recherche de la
vérité, l'étude de la morale universelle, des sciences et des arts et
l'exercice de la bienfaisance. Elle a pour principes la liberté absolue de
conscience et la solidarité humaine. Elle n'exclut personne pour ses croyances.
Elle a pour devise : Liberté, Égalité, Fraternité. »
Le Grand Orient
avait ainsi supprimé l'obligation de croire en Dieu, mais le concept de Grand
Architecte de l'Univers, relevant de la libre interprétation de chacun, n'était
pas directement touché par la modification12. Ce n'est que dix ans plus tard
que l'ouverture des travaux « À la Gloire du Grand Architecte de l'Univers
» fut rendue facultative pour les loges du Grand Orient de France. Bien que
cette pratique n'ait jamais été interdite, elle disparut alors progressivement
des rituels de la plupart des loges de cette obédience.
Landmarks des
Grandes Loges américaines
Dans les questions
de régularité maçonnique, les Grandes Loges américaines se réfèrent
principalement au concept de landmark. Celui-ci remonte aux Constitutions de la
Grande Loge de Londres, publiées en 1723 :
« Chaque Grande
Loge annuelle détient le pouvoir et l'autorité de créer de nouvelles règles ou
de les modifier, pour le bien de l'ancienne fraternité, à condition de toujours
préserver soigneusement les anciens Land-Marks. »Toutefois, ces Landmarks ne
furent jamais définis à l'époque de quelque manière que ce soit. La première
tentative de le faire fut celle du Docteur Albert Mac Key, aux
États-Unis, en 1856. Il proclama en avoir identifié 25. D'autres
auteurs, en reprenant ses travaux et en conservant les mêmes principes, en
publièrent des listes différentes. Toutes exigent des francs-maçons qu'ils
croient en Dieu, refusent l'admission des athées et des polythéistes, et
s'abstiennent de traiter explicitement la question du déisme. Dans le contexte
de la franc-maçonnerie américaine, les mots
« Great Architect
of the Universe » désignent clairement le Dieu des religions monothéistes,
considéré comme le seul et unique Dieu, auxquelles ces différentes religions se
référeraient en lui donnant des noms différents.
Évolution
de la position de la Grande Loge unie d'Angleterre
Après les
décisions prises par le Grand Orient de Belgique, le Grand Orient de France, le
Grand Orient d'Italie et la Grande Loge de Hongrie, la Grande Loge unie
d'Angleterre adopta au mois de mars 1878 la résolution suivante :
« La Grande Loge
unie d'Angleterre, toujours désireuse de recevoir dans l'esprit le plus
fraternel les Frères appartenant à toute Grande Loge étrangère dont les travaux
sont effectués selon les anciens Landmarks de l'Ordre, dont le premier et le
plus important est la croyance au Grand Architecte de l'Univers, ne peut
reconnaître comme « vrais et véritables » Frères ceux qui auront été initiés
dans des Loges qui nient ou ignorent cette croyance. »
En 1929, elle
publia ses huit Principes de base pour la reconnaissance par elle d'une grande
loge étrangère. Le deuxième principe précise :
« Que la croyance
dans le Grand Architecte de L'Univers et en Sa volonté révélée soient une
condition essentielle de l'admission des membres. »
En 1989, elle
publia une nouvelle version de ces mêmes principes :«
Pour être reconnue par la Grande Loge unie d'Angleterre, une Grande Loge doit
respecter les normes suivantes :
- Les
FRANCS-MAÇONS placés sous sa juridiction doivent croire en un Être
Suprême Grandes Loges irrégulières ou non reconnues :
Il existe
quelques soi-disant obédiences Maçonniques qui ne respectent pas ces normes,
par exemple qui n'exigent pas de leur membres la croyance en un Être
Suprême, ou qui encouragent leurs membres à participer en tant que tels aux
affaires politiques. Des obédiences ne sont pas reconnues par la Grande Loge
Unie d'Angleterre comme étant maçonnique ment régulières, et tout contact
Maçonnique avec elles est interdit. »
Cet abandon de
l'exigence d'une croyance en la « volonté révélée » du Grand Architecte de l'Univers
tient compte de sa reconnaissance, désormais passée dans les faits, de Grandes
Loges qui acceptent des déistes14 parmi leurs membres.
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